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lettre au fils

Article écrit le | 16 mars 2011 | 1 commentaire

je t’ai cherché partout.

Là-bas, ici, n’importe où.

je t’ai cherché sous la pluie,

Je t’ai cherché au soleil

Au fond des bois

Au creux des vallées

En haut des montagnes

Dans les villes les plus sombres

Dans les rues les plus sombres

Je t’ai cherché au sud,

Au nord

A l’est

A l’ouest

Je t’ai cherché en creusant sous la terre pour y enterrer mes amis morts,

Je t’ai cherché en regardant le ciel,

Je t’ai cherché au milieu des nuées d’oiseaux

Car tu étais un oiseau.

Et qu’y a-t-il  de plus beau qu’un oiseau

Qu’un oiseau plein d’une inflation solaire ?

Qu’y a-t-il de plus beau qu’un oiseau,

Qu’un oiseau seul au milieu des tempêtes

Portant aux confins du jour son étrange destin ?

A l’instant, tu étais l’horreur.

A l’instant tu es devenu le bonheur.

Horreur et bonheur.

Le silence dans ma gorge.

Tu doutes ?

Laisse-moi te dire.

Tu t’es levé

Et tu as sorti ce petit nez de clown.

Et ma mémoire a explosé,

Ne tremble pas.

Ne prends pas froid.

Ce sont des mots anciens qui viennent du plus loin de mes souvenirs.

Des mots que je t’ai si souvent murmurés.

Dans ma cellule,

Je te racontais ton père.

Je te racontais son visage,

Je te racontais ma promesse faite au jour de ta naissance.

Quoi qu’il arrive je t’aimerai toujours,

Quoi qu’il arrive je t’aimerai toujours

Sans savoir qu’au même instant, nous étions toi et moi dans notre défaite

Puisque je te haïssais de toute mon âme.

Mais là où il y a de l’amour, il ne peut y avoir de haine.

Et pour préserver l’amour, aveuglément j’ai choisi de me taire.

une louve défend toujours ses petits.

Tu as devant toi Jeanne et Simon.

Tous deux tes frère et soeur

Et puisque tu es né de l’amour,

Ils sont frère et soeur de l’amour.

Ecoute

Cette lettre je l’écris avec la fraicheur du soir.

Elle t’apprendra que la femme qui chante était ta mère

Peut-être que toi aussi te tairas-tu.

Alors sois patient.

Je parle au fils, car je ne parle pas au bourreau.

Sois patient.

Au-delà du silence,

Il y a le bonheur d’être ensemble.

Rien n’est plus beau que d’être ensemble.

Car telles étaient les dernières paroles de ton père.

Ta mère.

Wajdi Mouawad

in Incendies, Actes Sud Papiers, 2009

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Commentaires

Une réponse to “lettre au fils”

  1. Gloria-Marie
    juin 10th, 2014 @ 22 h 23 min

    D’une immense beauté et d’une violente sensibilité ! Excellent monologue, excellente conclusion : incendies est un film incroyable !

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